Piloter une entreprise à l’ère du toujours plus vite

En synthèse :

  • Dans le monde des affaires d’aujourd’hui, « rapide » est devenu synonyme de « bénéfique ». La valeur croissante que nous accordons à la vitesse est due à la généralisation de technologies et de savoir-être numériques, mais elle reflète également une vérité fondamentale des marchés voire de la vie : celui qui arrive le dernier est généralement perdant.
  • Cependant, tout ne peut pas et ne doit pas être exécuté à vitesse éclair. Piloter une entreprise et mener des hommes et des femmes exige toujours de prendre le temps de réfléchir à sa trajectoire. D’ailleurs, aller vite pour aller vite ne donne généralement pas de bons résultats.
  • En revanche, les cousins plus discriminants de la vitesse que sont la réactivité et l’agilité doivent être encouragés et adoptés sans modération.

Avez-vous remarqué à quel point la vitesse est devenue le diktat central de l’époque – dans nos vies personnelles, et plus encore dans les sphères professionnelles ? Il s’agit toujours d’accélérer le travail et les résultats. De penser et d’agir plus vite. D’avoir un ou plusieurs temps d’avance. D’être le premier à franchir la ligne d’arrivée.

Tout cela est fort bien. La vitesse a indéniablement ses vertus. Mais qu’en est-il de celles de l’étude posée et de la réflexion à long terme ? Un dirigeant d’entreprise peut-il conserver discernement et sagacité tout en avançant à vitesse lumière ? Pesons le pour et le contre.

Pourquoi la vitesse compte

Commençons par nous faire l’avocat du diable. Les raisons pour lesquelles la vitesse a pris une telle importance dans notre échelle des valeurs sont aussi nombreuses que valables. Tout d’abord, la rapidité va de pair avec la numérisation. Les machines et programmes ne sont pas entravés par nos limites humaines. Ils peuvent fonctionner 24 heures sur 24 et produire des résultats sidérants à un rythme sidérant. À nous de suivre ce rythme. Lorsque le travail peut être effectué en quelques heures, voire en quelques minutes, il peut sembler inefficace de prendre des jours pour parvenir à une décision !

Par ailleurs, il n’est pas aberrant de considérer la concurrence sur les marchés comme une course. Lorsque des retards de production vous empêchent de commercialiser votre nouveau produit star à temps pour la saison des fêtes, ce sont vos concurrents qui captent toute la valeur. Personne ne veut engager un consultant ou un comptable qui passe ses après-midi à méditer pour trouver l’inspiration ; les clients préfèrent choisir un partenaire qui est peut-être moins inspiré, mais qui produit des résultats plus rapidement. La « course » au vaccin contre le COVID-19 en est un bon exemple. Demandez au groupe pharmaceutique français Sanofi, qui a dû abandonner ses recherches sur son propre vaccin à base d’ARN messager alors que le travail était déjà très avancé, tout simplement parce que la position dominante de concurrents plus rapides rendait un énième vaccin superflu.

Être à la traîne n’est pas précisément une perspective attrayante pour qui que ce soit. Alors, qu’y a-t-il de mal à essayer d’accélérer la prise de décisions et l’exécution, de minimiser les cycles de développement et les délais de commercialisation ?

Attendez une seconde…

Il est certes impératif de ne pas se laisser dépasser par la concurrence, ni par les attentes en constante évolution de consommateurs et de marchés toujours plus exigeants. Mais cela ne signifie pas qu’il faille rouler « à tombeau ouvert » !

On peut considérer que la valeur ajoutée et le rôle premiers d’un dirigeant réside en sa capacité à forger une vision forte et à fédérer autour de cette vision. Malheureusement (ou pas), les visions ne poussent pas sur les arbres. La définition d’une vision solide nécessite un travail de réflexion stratégique et créative (à savoir précisément le genre de choses que nous ne sommes pas près de parvenir à automatiser). Il est généralement recommandé d’explorer différentes voies afin de tester vos intuitions. Tout cela prend du temps, et essayer d’accélérer artificiellement le processus risque de ne pas vous amener où vous le voulez vraiment.

De même, communiquer votre vision et y faire adhérer les autres requiert du temps et des efforts. La conduite du changement est d’ailleurs une excellente illustration du proverbial « Chi va piano, va sano e va lontano ». Si vous avez déjà essayé de forcer vos employés à adopter de nouvelles méthodes de travail du jour au lendemain, vous savez probablement que cela ne fonctionne pas vraiment de cette façon. On retrouve la même problématique dans le cadre de la construction d’une marque ou de la consolidation de la réputation d’une entreprise : à moins que vous ne soyez suffisamment inspiré pour inventer le prochain iPhone ou pour composer le prochain Gangnam style, asseoir une notoriété et un positionnement peut prendre du temps. En bref, la nécessité de travailler vite ne doit en aucun cas vous inciter à jeter aux orties la réflexion à long terme et la planification stratégique.

Et, lorsqu’il s’agit d’exécution, essayer d’aller plus vite que la musique peut conduire à des erreurs cuisantes. Demandez à l’équipe qui a perdu dans l’espace un orbiteur de la NASA à cause d’une simple erreur mathématique : prendre le temps d’effectuer une vérification supplémentaire aurait pu faire économiser à leur entreprise quelque 125 millions de dollars.

Ce qui importe n’est pas tant la vitesse, c’est l’agilité

Nous pourrions probablement continuer longtemps encore à essayer de définir la frontière entre « vite fait = bien fait » et « trop vite ». Mais, dans la pratique, c’est souvent une question de bon sens. Ce qui n’est pas forcément aussi évident est la prise de conscience que la vitesse est souvent confondue avec des notions distinctes mais néanmoins connexes : la réactivité et l’agilité.

Lorsque des experts du management vous exhortent à « échouer plus vite », ils ne veulent pas dire que vous devez attendre avec impatience l’opportunité de vous inscrire auprès de Pôle Emploi. Ce qu’ils veulent plus probablement dire, c’est que vous devez saisir toute occasion d’apprendre, d’évoluer et de vous adapter. À l’ère du numérique, la capacité à se repositionner rapidement dans un contexte en constante évolution, et à faire face à de soudains coups de Trafalgar en gardant la tête froide, est un véritable avantage compétitif. Dans beaucoup de situations professionnelles, lorsque l’on dit « vite », c’est « agile » qu’on veut réellement dire. Il suffit de lire entre les lignes.

La réactivité et l’agilité impliquent effectivement une dimension de vitesse. Rester les bras croisés pour mieux décider de la meilleure ligne de conduite à adopter alors que le monde s’effondre autour de vous n’est pas précisément agile. Mais courir de toute part sans vraiment savoir où l’on va n’est pas non plus agile (contrairement à certains préjugés). Il ne s’agit pas d’aller vite pour aller vite.

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Benoît Boitard

Benoît has multiple professional experiences, working in particular as a digital strategy consultant, both in emerging start-ups and in large companies. These diverse experiences have imbued him with a global vision of project management in traditional and agile working environments.